Une des caractéristiques remarquables de la côte du nord de l’Île d’Ellesmere, au Nunavut, est la présence d’une série de plateformes de glace, c’est-à-dire d’une couche de glace de 10 à 50 m d’épaisseur flottant sur la mer mais attachée à la terre. La couche de glace résulte principalement d’une accrétion lente de glace de mer, et l’on croit
que les structures présentes à l’heure actuelle ont commencé à se former il y a quelque 4000 ans. Les premiers explorateurs de la région (Expéditions de Nares en 1875-1876 et de Peary en 1906) avaient déjà noté cette vaste frange de glace épaisse et ondulante qui s’étendait alors tout au long du littoral du nord de l’Île d’Ellesmere. Nous estimons qu’environ 90% de cette structure de glace fut perdue au cours du 20e siècle, et que durant l’année 2000, tout ce qu’il restait de cette frange continue n’était qu’une série de six plateformes de glace localisées dans les baies ou dans les fiords, à leur extrémité ouverte sur la mer (Vincent et al. 2001).
Cette glace restante a subi d’autres cassures et pertes au cours des années. En 2001, la plus grande de ces plateformes de glace, la plateforme de Ward Hunt, s’est scindée en deux et a relâché dans le fiord Disraeli les 3 milliards de tonnes d’eau douce qu’elle retenait (Mueller et al. 2003). La plateforme de glace de Ayles s’est déplacée de 5 km vers la mer dans les années soixante, mais elle s’est soudée de nouveau à sa place originale lors de la formation de glace côtière multi-annuelle au cours des décades subséquentes (Jeffries 1986). En août 2005, période record du minimum de glace et du maximum de température, la plateforme de glace de Ayles s’est rompue et est sortie du fiord. Au cours de l’année suivante, la section qui s’est détachée de la plateforme s’est déplacée de 50 km vers l’ouest, formant ainsi une île de glace.
Les six plateformes de glace le long du littoral nord de l’Île d’Ellesmere, dans le Haut Arctique canadien, en 2004 (Mueller et al. 2006). La plateforme de Ayles s’est rompue en août 2005.
La plateforme de glace d’Ellesmere est maintenant reconnue comme Étant un riche habitat pour les communautés microbiennes, supportant une biomasse totale d’environ 10 000 tonnes en poids sec (Mueller et al. 2006). Les microorganismes s’y développent sous forme de tapis et films benthiques dans les marres de fonte qui se forment dans les longues crevasses associées aux ondulations de la glace. Ces tapis microbiens sis sur un fond glacé sont dominés par des cyanobactéries filamenteuses fortement pigmentées, mais ils contiennent aussi plusieurs autres organismes, tels que des virus, des bactéries, des microlagues et autres protistes eucaryotes, et même des microinvertébrés comme des nématodes et des vers plats. Ces mondes microscopiques fournissent un aperçu sur les procédés qui ont permis à la vie de survivre et d’évoluer durant les périodes de froid extrème des glaciations du Précambrien (Vincent et al. 2004a,b).
La plateforme de glace de Ward Hunt montrant les mares de fonte issues de la topographie ondulante de surface.
Échantillonnage des éclatants tapis microbiens pigmentés sur la plateforme de Markham (Vincent et al. 2004a).
Références:
Jeffries, M.O. 1986. Ice island calvings and ice shelf changes, Milne Ice Shelf and Ayles Ice Shelf, Ellesmere Island, NWT. Arctic 39: 15-19.